Pourquoi la mode… fait déborder nos placards ? (psychologie & business)[3/6]

La mode, en particulier la fast fashion, c’est la rencontre entre le monde de l’art et le monde de l’industrie.

Pourquoi la mode… fait déborder nos placards ? (psychologie & business)[3/6]

Cet article fait partie d’une série sur la mode. Le premier épisode est ici.

J’ai compris en discutant avec mon entourage que l’aspect industriel de la mode était évident pour tout le monde mais que son aspect artistique ne l’était pas toujours.

Certaines personnes voient en effet le vêtement comme un objet purement utilitaire. Pour elles, le vêtement n’a qu’une seule utilité, qu’une seule dimension : c’est un bout de tissu qui couvre notre corps pour le protéger. Et on ne lui demande rien d’autre !

Ces personnes peuvent avoir du mal à comprendre l’engouement collectif pour la mode. C’est parce qu’elles ne voient pas (ou ne veulent pas voir) que le vêtement peut avoir une deuxième dimension : une dimension symbolique. Ces symboles ne sont pas forcément universels, il faut parfois quelques connaissances pour les percevoir et les déchiffrer.

Mais il n’y a pas de jugement à porter sur la dimension symbolique des vêtements. Voir des symboles et les utiliser à son tour, ce n’est pas une preuve de frivolité ou de superficialité. C’est une forme de communication.

Ensuite, quand on parle de la mode comme d’une forme d’art (dans les médias par exemple), on fait en général référence à la haute couture et à la créativité des grands couturiers. C’est vrai, mais c’est très réducteur.

Parce que la mode est surtout un art populaire ! Une forme d’expression et une recherche esthétique aujourd’hui accessible à tout le monde grâce à la fast fashion (qui n’a pas que des mauvais côtés).

Choisir attentivement ses vêtements, les associer, les bricoler, les arranger pour composer une tenue, pour faire passer un message sur soi-même, sur la société, ou tout simplement pour faire joli : c’est déjà une démarche artistique.

La mode, c’est l’art de s’habiller et de se mettre en scène.

Et que cherche-t-on en général à communiquer à travers ses vêtements ?

Des sentiments, des opinions, ou une personnalité.

On utilise le vêtement pour refléter, symboliser ce que l’on est ou ce que l’on aimerait être. L’avantage des vêtements, c’est qu’on peut en changer d’un jour à l’autre ! Comme le dit Gilles Lipovetsky, on peut paraître sophistiqué, désinvolte, stricte, romantique, gai ou sportif, en fonction des vêtements que l’on porte.

C’est la haute couture qui aurait pour la première fois relié les vêtements à des traits de personnalité, ce que l’on appelle la “psychologisation” de la mode.

“Entrez chez les grands couturiers et vous sentirez que vous n’y êtes pas dans un magasin mais chez un artiste qui se propose de faire de votre robe un portrait de vous-même et ressemblant” — Paul Poiret (1879–1944), grand couturier français

Mais il ne s’agit pas uniquement de communiquer avec le monde extérieur. Le vêtement sert aussi à renvoyer une certaine image… à soi-même !

La psychologie du placard

Le but est non seulement de convaincre les autres qu’on a telle ou telle personnalité, mais aussi de se convaincre soi-même.

Et dans ce cas, on n’a pas forcément besoin de porter certains vêtements. On peut tout simplement acheter un vêtement avec une certaine valeur symbolique et le garder dans notre garde-robe. Comme, par exemple, lorsque l’on achète un pantalon trop serré en se disant que l’on va perdre du poids. L’image que l’on veut ici se renvoyer, c’est l’image de soi-même en plus mince, une version idéalisée de soi-même.

Dans ce cas, pas étonnant que l’on garde des tonnes de vêtements que l’on ne met jamais ! Se séparer d’un vêtement, c’est aussi se séparer de sa valeur symbolique. Et jeter ce pantalon trop serré que l’on n’a jamais mis, ce serait accepter la fatalité que l’on ne perdra pas de poids…

Dans ce sens, l’accumulation de vêtements dans nos penderies jusqu’à en faire déborder nos placards ne serait pas uniquement un signe d’hyper-consumérisme, mais aussi une quête identitaire. Parmi tous ces vêtements qu’on ne met jamais, il y aurait donc une part de notre identité.

Qui suis-je ? Qui est-ce que je voudrais être ? Qu’est-ce que je voudrais que les autres pensent de moi ?

Tout cela pourrait se lire dans votre garde-robe d’après les chercheuses Maura Banim et Alison Guy. Eh oui, vous ne la regarderez plus jamais de la même façon maintenant !

Bon, du calme, ce n’est qu’une hypothèse pour l’instant. Mais toutes les recherches que j’ai lues et qui voulaient savoir pourquoi nous possédons autant de vêtements suggéraient qu’il y avait bien une question identitaire derrière ce comportement consumériste.

Car en fin de compte, le proverbe “l’habit ne fait pas le moine” a ses limites. Souvent, l’habit fait le moine.

Vous avez déjà remarqué à quel point vous vous sentez bien lorsque vous portez une tenue que vous adorez ? A quel point ça vous donne confiance en vous, comme si vous pouviez conquérir le monde ?

C’est parce que le fait de porter des vêtements qui sont en accord avec notre image idéale augmenterait notre confiance en nous d’après Jennifer Yurchisin, professeur et chercheuse à l’Université du Minnesota.

Et ça ne s’arrête pas là : quand nous portons certains vêtements, nous modifions inconsciemment notre comportement pour qu’il corresponde avec l’image que les vêtements renvoient de nous. Si je suis habillée en moine, j’ai tendance à me comporter comme un moine.

Puis de l’extérieur, les autres aussi voient nos vêtements, alors ils modifient leur attitude par rapport à nous en fonction de ce qu’ils perçoivent dans nos habits. Si les autres me voient avec des habits de moine, ils se comportent avec moi comme si j’étais un moine.

Du coup, porter des vêtements qui reflètent notre “moi idéal”, c’est presque une prophétie auto-réalisatrice (dans une certaine mesure évidemment). L’habit fait le moine. Ou “Nouveau look pour une nouvelle vie”, comme titre l’émission de la conseillère en image brésilienne Cristina Cordula !

Cette attitude peut être tout à fait saine dans les cas où elle ne cache pas un problème psychologique plus profond.

Le souci c’est que dans notre société de l’image, beaucoup de gens ont aujourd’hui un besoin quasi-irrépressible de sentir que leur image personnelle est “validée” par les autres. Elles ont besoin de cette approbation pour se rassurer sur leur propre valeur en tant qu’être humain.

Sur internet par exemple : quand la tenue d’une personne ayant une faible confiance en elle est validée par ses followers, elle se sent rassurée sur son appartenance à ce groupe et donc sur sa valeur personnelle. Ce serait particulièrement vrai chez les adolescents parce que beaucoup d’entre eux auraient une faible estime d’eux-mêmes.

, un modèle de distinction pour beaucoup.

Toutes ces images, tous ces selfies, sont souvent perçus comme l’étalage d’un narcissisme décomplexé. La question se pose, mais elle est complexe. En psychologie, le narcissisme décrit des personnalités qui essaient surtout de masquer un sentiment de vide et une mauvaise estime d’eux-mêmes par l’affichage d’une grande vanité et par la valorisation grandiose de leur image. Selon certains psychologues, la société de consommation (dont l’industrie de la mode) encouragerait en effet le narcissisme.

Mais les adolescents et les personnalités narcissiques ne sont évidemment pas les seuls concernés par les problèmes de confiance en soi.

Grands utilisateurs de réseaux sociaux et de télévision, que nous soyons jeunes ou moins jeunes, nous visualisons en permanence des images de gens riches et célèbres qui sont à la mode et auxquels nous nous comparons ou voulons ressembler. Mais c’est un idéal très difficile à atteindre !

Quand on commence à ne plus seulement se comparer à des gens comme nous mais aussi à des gens qui ont un statut social plus élevé, c’est un phénomène que la chercheuse en sociologie Juliet Schor appelle “l’expansion verticale du groupe de référence”.

Si notre nouvelle référence, notre nouvel idéal, c’est d’avoir la même vie (et les mêmes vêtements) qu’un millionnaire, on peut facilement avoir l’impression d’être un “nul” ou un “raté” à côté. C’est une source de frustrations, de complexes et d’anxiété.

Ces problèmes de confiance en soi peuvent alors amener certaines personnes à développer avec les vêtements des comportements de consommation proches de l’addiction.

Ces dérives sont beaucoup critiquées par des mouvements “anti-modes”, qui dénoncent le vide spirituel et la superficialité des rapports humains induits par la société de consommation. Depuis les années 1960, on en a vu un paquet : hippies, baba-cools, punks, rastas, grunge…

Mais curieusement, ces mouvements “anti-modes” cherchent aussi à communiquer leurs revendications identitaires au travers de leurs vêtements. Les looks caractéristiques de ces cultures anti-conformistes relèvent en effet d’une stratégie de différenciation individualiste : montrer au reste du monde qu’on est différents (et aussi, parfois, lui dire d’aller se faire foutre) !

En adoptant un style vestimentaire particulier, les “anti-modes” veulent se différencier de la masse en un seul coup d’oeil. Sauf que cette attitude renforce encore plus le rôle de l’image et du paraître. C’est considérer que les vêtements de chacun ne reflètent plus seulement un goût esthétique, mais qu’ils doivent aussi afficher des valeurs existentielles et des revendications politiques.

Mais loin de moi l’idée de critiquer qui que ce soit. Puisque l’image est puissante, autant l’utiliser ! D’ailleurs, ces mouvements ont l’intérêt de remettre en question publiquement la frénésie de mode et de possessions matérielles en tout genre.

Car, comme l’explique le psychologue Tim Kasser, les personnes matérialistes ont tendance à penser que les possessions matérielles les rendront heureuses. Le problème c’est que, dans la plupart des cas, le plaisir associé à un nouvel achat disparaît rapidement et est remplacé par le désir d’acquérir autre chose encore, ce qui crée une perpétuelle insatisfaction. Que les marques de fast fashion savent capter à merveille.

Le bonheur est dans le magasin

Comme je l’ai expliqué, le succès de la fast fashion repose sur différents rouages qui s’entraînent entre eux. Notre quête identitaire et notre insatisfaction matérialiste ne seraient rien si les marques de fast fashion n’en avaient pas fait leur fonds de commerce. Elles ont donc tout intérêt à mettre de l’huile sur le feu.

Les enseignes de fast fashion ont bien compris que les désirs des consommateurs peuvent être intarissables si on sait les attiser.

C’est pourquoi les marques comme Zara ou H&M renouvellent leurs collections extrêmement rapidement. Finies les deux collections annuelles de la haute couture (printemps/été et automne/hiver) ! Avec la fast fashion, les magasins reçoivent des nouveaux modèles toutes les semaines !

Le but est double. Il s’agit, premièrement, d’encourager les achats impulsifs. Pas le temps de réfléchir puisque rien ne dit que notre “coup de coeur” sera encore là la semaine prochaine !

C’est une manière de créer un effet de rareté : la disponibilité d’un produit est réduite dans le temps (rareté temporelle), donc il est rare, donc il en devient encore plus attractif aux yeux du consommateur. C’est une technique de vente vieille comme le monde.

Ici elle s’appuie aussi sur une autre technique qui vise à créer sentiment d’urgence chez le consommateur pour le presser de prendre une décision d’achat et ne pas lui laisser le temps d’y réfléchir à tête refroidie.

Combien de fois avez-vous regretté, après coup, d’avoir acheté des choses dont vous n’aviez pas besoin et qui encombrent maintenant votre penderie ?

Avec ce renouvellement incessant des collections, les marques veulent, deuxièmement, être sûres de coller au plus près aux dernières tendances. Elles engagent même des professionnels dont le travail est de surveiller l’apparition de nouvelles modes dans la rue et sur les réseaux sociaux. Comme l’écrit la journaliste Lucy Siegle, si les hipsters développent soudainement une passion pour les vampires ou décident de bannir certaines chaussures, les bureaux d’Inditex (maison mère de Zara) le sauront tout de suite.

Dans la fast fashion, il s’écoule généralement moins d’un mois entre le moment où le styliste dessine un vêtement et celui où il se retrouve en magasin, ce qui permet de s’adapter en permanence.

Les magasins ont donc toujours des nouveautés à présenter. Il y a toujours des nouveaux modèles à découvrir, ce qui fait que le shopping est un divertissement dont on ne se lasse pas.

“La mode doit mourir et mourir vite, afin que le commerce puisse vivre.” — Coco Chanel

Cette déclaration date pourtant d’une époque où la fast fashion n’existait pas encore. Mais elle témoigne que l’obsolescence fait partie de la nature-même de la mode. Les produits doivent perdre rapidement leur attrait, leur désirabilité. J’en ai parlé dans cet épisode sur la société de consommation :

[4/8] Prenez vos désirs pour des besoins
En avant les histoiresmedium.com

Il faut donc que les modes changent en permanence pour pouvoir vendre de nouveaux produits. Et il faut que les gens se lassent au plus vite !

Alors la fast fashion a augmenté la cadence des changements de mode. Il est de plus en plus difficile d’être à la mode mais il faut absolument suivre le rythme pour ne pas être “ringard” !

Et ce sont les prix incroyablement bas de la fast fashion qui nous permettent de renouveler nos garde-robes aussi souvent.

Nos achats peuvent être impulsifs et fréquents, nulle culpabilité à l’horizon ! “C’est pas grave, c’est pas cher !”

Et puis la mode coûte tellement peu cher que plus personne n’a d’excuse pour ne pas être à la mode. C’est devenu une norme et un instrument de pression sociale. Surtout pour les femmes, auxquelles la société tout entière rappelle qu’elles doivent “prendre soin d’elles” pour être désirables en toute circonstance (on en reparle dans le prochain épisode).

Mais comme l’écrivent les chercheurs en management Filipe Caro et Victor Martinez-de-Albeniz, la fast fashion produit surtout l’apparence de produits pas chers.

“Allez-y messieurs-dames, ils sont pas chers mes chiffons, pas chers !”

Car le vrai prix de ces vêtements n’est pas sur l’étiquette ! Il faut le chercher ailleurs, à l’autre bout de la planète.

Le prix de la mode

Aujourd’hui, la grande majorité de nos vêtements vient de pays en développement, et surtout d’Asie.

Produire les vêtements là-bas pour les vendre en Europe et aux Etats-Unis permet effectivement d’employer de la main d’oeuvre beaucoup moins chère. Mais cela n’explique pas que les prix soient aussi bas et continuent même de baisser. Il faut chercher autre chose.

Ces pays en développement mettent aussi en place des zones économiques spéciales où les productions industrielles sont exemptées de taxes pour attirer les multinationales. Les entreprises peuvent profiter de lois peu regardantes sur les droits des employés, permettant des licenciements massifs et rapides si besoin.

Le Cambodge et le Bangladesh, par exemple, ont beaucoup parié sur l’industrie textile ces dernières décennies. Leur but est de générer de la croissance économique en exportant les produits textiles fabriqués sur place par une main d’oeuvre nombreuse, docile et pas chère. L’industrie textile au Bangladesh représenterait 20 milliards de dollars pour l’année 2013, une manne financière non négligeable pour l’un des pays les plus pauvres du monde.

Mais ça n’explique toujours pas comment on arrive à des prix aussi bas.

Lucy Siegle souligne dans son livre que les entreprises de fast fashion mentent souvent par omission quand on leur demande comment elles font pour proposer des tarifs aussi dérisoires. C’est que l’envers du décor nuirait beaucoup trop à leur image.

En fait, les multinationales de la fast fashion ne sont quasiment jamais propriétaires des usines dans lesquelles leurs vêtements sont fabriqués. Il arrive souvent qu’elles ne sachent pas exactement dans quelles usines leurs vêtements sont cousus.

Ça peut paraître bizarre, mais c’est le résultat d’une filière très complexe où les grandes marques (comme H&M, Zara, Gap etc.) font appel à une multitude de fournisseurs et de sous-traitants différents, qui eux-mêmes font appel à une multitude de fournisseurs et de sous-traitants différents, qui eux-mêmes… Bref. Ça ne facilite pas la transparence. Ni une très grande éthique à l’égard des travailleurs et de l’environnement.

Bien au contraire, puisque les grandes enseignes imposent leurs conditions et font pression sur ces fournisseurs et ces sous-traitants pour qu’ils fassent le travail au prix le plus bas possible. Ces derniers n’ont aucune marge de négociation face aux géants de l’industrie.

Or, les entreprises de sous-traitance qui s’occupent de l’assemblage des vêtements ne peuvent pas faire grand chose par rapport au prix des matières premières (coton, polyester, etc) choisis par les stylistes des grandes marques. Leur seule variable d’ajustement, c’est les salaires et les conditions de travail des ouvriers textiles.

Certaines entreprises de sous-traitance n’hésitent donc pas à payer leurs ouvriers en-dessous du minimum vital, à leur imposer des cadences affolantes, pendant des horaires interminables, dans une chaleur suffocante.

Mais lorsque des ONG évoquent ces problèmes dans les médias, elles s’entendent souvent répliquer : “Oui, bon, les conditions de travail ne sont pas idéales, mais c’est quand même du travail ! C’est mieux que le chômage !”

Alors je pose la question : tous les abus sont-ils justifiés à partir du moment où on “donne du travail” ?

Et “avoir un travail” interdit-il de demander à être traité avec un minimum d’humanité ?

D’autant que l’argent ne manque pas puisque, à titre indicatif, H&M a enregistré un profit net de l’ordre de 2 milliards d’euros en 2015.

C’est ici une situation de quasi-esclavage. Les ouvriers sont maintenus dans une précarité telle qu’il leur arrive souvent de ne pas pouvoir manger à leur faim. Alors forcément, ça tire les prix vers le bas et ça impose aux entreprises concurrentes d’adopter des pratiques similaires si elles veulent rester compétitives… C’est un cercle vicieux.

Combien d’ouvriers travaillent actuellement dans des conditions parfois déplorables pour alimenter nos garde-robes ? Environ 40 millions dans le monde d’après la journaliste Lucy Siegle, en grande majorité des jeunes femmes et des migrants.

Et tout ça, ce n’est encore que la partie émergée de l’iceberg. J’ai appris en lisant l’enquête de Lucy Siegle qu’au moins 20% des vêtements sont fabriqués à domicile par des travailleurs informels très pauvres (en particulier les collections pour femmes et enfants).

Il est donc probable que certaines pièces de votre garde-robe aient séjourné à un moment ou à un autre dans un bidonville, puisque c’est là que se trouve une partie de cette main d’oeuvre informelle.

Et là, il n’est pas rare de trouver des enfants au travail. Car si le travail infantile a été chassé des usines, il n’a pas pour autant disparu. Il est devenu encore plus invisible.

Dans de telles conditions, les salaires des travailleurs à domicile sont encore plus bas que dans les usines, très loin du salaire minimum légal.

Voilà, maintenant on commence enfin à comprendre comment certaines marques arrivent à vendre des tee-shirts à 3 euros.

Eurêka !

Et voilà ce qui se passe quand les marques décident de tirer les prix à la baisse. Mais elles sont très loin de cette réalité-là, derrière les multiples couches d’intermédiaires. Ceci dit, je suppose qu’elles sont déjà au courant et que ça les arrange très bien de fermer les yeux tant que leur réputation, et donc leurs profits, ne sont pas menacés.

Mais justement, la réputation de la fast fashion est peut-être en train le suivre même chemin que le fast food : après une croissance explosive et une popularité massive, les consommateurs commencent à se poser des questions sur ce commerce dont la face cachée est régulièrement épinglée par les médias.

La tragédie du Rana Plaza au Bangladesh a mis les manquements éthiques de la fast fashion sous les projecteurs du monde entier. Mais il ne s’agit pas uniquement de dénoncer telle ou telle marque. Ce que révèle l’effondrement spectaculaire de ce bâtiment qui a tué près de 1130 personnes, ce sont les failles de tout un système qui dépasse largement Mango ou Benetton.

Le Rana Plaza n’est pas une première dans l’histoire, et ne sera probablement pas la dernière si rien ne change. Des scandales similaires ont déjà eu lieu en Europe et aux Etats-Unis au début du 20ème siècle. En 1911, par exemple, l’usine textile Triangle Shirtwaist de New York a pris feu, tuant près de 150 personnes, surtout des femmes d’origine étrangère. Cet événement tragique a contribué à la naissance des mouvements pour les droits des travailleurs aux Etats-Unis.

Mais le problème de fond n’a pas été réglé. Car si ce genre de tragédie n’a plus lieu aux Etats-Unis de nos jours, c’est surtout parce que le problème a été délocalisé dans des pays lointains.

Pour le professeur en sociologie Ian Taplin, ce sont les conflits d’intérêts, les complicités gouvernementales, la corruption, et aujourd’hui les accords de libre échange qui sont en cause.

D’après ses recherches, environ 10% des sièges au parlement du Bangladesh sont tenus par des propriétaires d’usine. Ce qui ne peut que confirmer les liens très forts entre le monde de l’industrie et celui de la politique puisqu’il s’agit souvent des mêmes personnes !

Les propriétaires d’usines seraient d’ailleurs très courtisés par les politiciens locaux qui cherchent à créer des emplois et à percevoir plus d’impôts. Il n’est donc pas rare que les maires ne soient pas très regardants sur les permis de construire, voire facilitent les manquements à la réglementation pour accélérer les constructions.

Et ça, ce n’est que l’exemple du Bangladesh. Ian Taplin considère que le coeur du problème, c’est que l’industrie de la mode (comme tant d’autres industries) a un modèle économique qui privilégie toujours le consommateur plutôt que les travailleurs (par des prix misérablement bas et des impératifs de production extrêmement rapide dans le cas de la fast fashion).

Si nous pouvons remplir nos armoires pour pas cher jusqu’à les faire déborder, c’est grâce à ce système.

Evidemment, les grandes marques n’ont pas envie que l’on pense aux petites mains des bidonvilles quand on achète leurs vêtements !

Pourtant, quand on y réfléchit, ces petites mains sont en très grande majorité des femmes qui produisent des vêtements pour d’autres femmes. Car ce sont bien les femmes qui sont les principales consommatrices de fast fashion.

Mais attendez, pourquoi les femmes ?


La suite est ici :

[4/6] Pourquoi la mode… est un truc de femmes ? (études de genres)
Il paraît que les femmes adorent la mode, beaucoup plus que les hommes. Sont-elles des créatures frivoles par nature …medium.com