La viande artificielle est-elle l’avenir du steak ?

La viande cultivée en laboratoire, une vraie ou fausse solution ?

La viande artificielle est-elle l’avenir du steak ?

Gaz à effet de serre, pollution, souffrance animale, problèmes sur la santé… La viande est attaquée de toutes parts ! Et si on trouvait une solution pour manger de la viande sans aucun de ces inconvénients ? Certains disent l’avoir trouvée : c’est la viande cultivée en laboratoire. Une vraie ou fausse solution ?


Ah, la viande…! Elle est devenue un des sujets médiatiques les plus sensibles !

On entend de plus en plus que l’industrie de la viande est mauvaise pour l’environnement, qu’elle maltraite les animaux et qu’elle nous rend malades.

Pour autant, il est toujours difficile de parler de végétarisme sans créer de fortes réactions (petite pensée compatissante à tous ceux qui se sont déjà entre-tués pendant un dîner de famille).

Mais nous ne pouvons pas non plus fermer les yeux sur les problèmes causés par la viande. Il faut trouver des solutions, et vite.

Parce qu’en 2050, nous serons entre 9 et 10 milliards sur Terre. C’est autant de bouches à nourrir.

Nous sommes donc obligés de parler des alternatives à l’élevage industriel pour nourrir l’humanité, avec ou sans viande. Et dans le calme si possible !

Dans mon article Sommes-nous trop nombreux sur Terre ?, on a vu que l’on pourrait facilement nourrir 10 milliards de végétariens. Mais si tout le monde mangeait autant de viande qu’un Américain, on ne pourrait nourrir que 2,5 milliards de personnes avec la même superficie de terres.

C’est parce que l’élevage consomme énormément de ressources (il faut au moins 7kg de céréales pour produire un 1kg de boeuf). Il est aussi responsable de 14,5% des gaz à effet de serre d’après l’ONU. J’ai expliqué l’impact environnemental de la viande dans mon article Pourquoi les écolos végétariens nous cassent les pieds.

Et je ne parle même pas ici de toute la souffrance animale et des impacts désastreux de la surconsommation de viande sur la santé

Beaucoup de recherches scientifiques s’accordent à dire qu’une alimentation flexitarienne (manger de la viande seulement de manière occasionnelle) ou une alimentation végétarienne font partie des choses les plus efficaces pour lutter contre le changement climatique et la pollution environnementale.

Mais ça, évidemment, ça va à l’encontre de nos habitudes culturelles et ça rend l’idée difficile à accepter.

Dans ce contexte, la perspective de pouvoir produire de la viande en laboratoire, sans souffrance animale, sans gaz à effet de serre, sans pollution et sans altérer notre santé, a tout pour être alléchante !

Malgré toutes mes réflexions sur l’alimentation et l’écologie, je n’avais pas pensé à me pencher sérieusement sur le sujet, jusqu’à ce qu’un lecteur me pose la question de but en blanc : “Quid de la viande de laboratoire ?”. Très bien, allons-y !


Comment on fait ?

Pour produire cette viande artificielle, il faut prélever des cellules souches de muscle sur un animal vivant, puis les cultiver en laboratoire dans une substance nutritive pendant plusieurs jours à plusieurs semaines. On obtient ainsi des fibres musculaires. Ce sont ces fibres qui permettent de faire de la viande de synthèse.

Il y a aujourd’hui une multitude d’entreprises (souvent des start-ups) ou laboratoires qui travaillent là-dessus. Google aussi essaie d’être sur le coup.

Mais tous ces gens ont parfois des objectifs et des méthodes différentes. Certains visent à produire de la viande de boeuf, d’autres de la viande de poulet. Certains utilisent des hormones et des antibiotiques, d’autres promettent de faire une viande de synthèse biologique.

La viande produite en laboratoire a d’ailleurs une couleur plutôt grise, donc il faut utiliser des colorants pour la rendre appétissante.

L’entreprise Impossible Foods parle même de faire de la vraie viande uniquement à partir de plantes (sans cellules animales), sans pour autant révéler quoi que ce soit de leur recette.

Il y aurait donc plusieurs façons de faire de la viande en laboratoire.

Mais pour l’instant, elles en sont encore au stade expérimental. Aucune d’elles n’est prête pour la production de masse. C’est pourtant le but de ces entreprises qui aimeraient, à terme, remplacer complètement la viande “naturelle”.

Le premier exemple de dégustation de viande artificielle que j’ai trouvé date de 2013. C’est le steak de boeuf de 140g fabriqué in vitro par l’équipe du biologiste Mark Post. Ce premier steak aurait coûté 250 000 euros, financés par Google. Mais le prix d’un tel steak aurait chuté depuis et pourrait maintenant ne coûter que 80 euros le kilo quand il pourra être commercialisé.

La start-up SuperMeat essaie de lever de l’argent avec du financement participatif pour fabriquer du poulet artificiel. Elle estime qu’il lui faudrait l’équivalent de 2,3 millions d’euros pour produire un prototype rentable et prêt à être goûté.

Mais du prototype aux supermarchés, il y a encore tout un monde.

Le premier steak artificiel, présenté par le biologiste Mark Post en 2013.

C’est bon comme de la vraie viande ?

Peut-être. Pour l’instant peu de gens ont eu l’occasion de goûter cette nouvelle viande. On ne peut pas encore s’en procurer pour faire l’expérience par nous-mêmes.

Le goût du steak à 250 000 euros était très prononcé mais laissait un peu à désirer selon les critiques gastronomiques qui ont pu le goûter. En fait, ce steak ne contenait quasiment pas de matières grasses, alors qu’elles jouent beaucoup dans le goût et la texture de la viande.

Mais ce steak n’était en fait qu’une première version d’un produit qui va encore être amélioré. L’équipe de Mark Post essaie maintenant de produire la matière grasse nécessaire pour redonner son goût naturel à la viande de synthèse.

Toutes les entreprises qui veulent produire de la viande en laboratoire le promettent : elle aura exactement le même goût et la même texture que la viande “naturelle”. Reste encore à le prouver !


C’est une bonne nouvelle pour l’environnement ?

En théorie oui, mais on ne peut pas savoir avec certitude. Comme il n’y a pas encore de production commerciale, on ne peut pas mesurer ce que serait l’impact de la viande de synthèse dans de telles conditions.

L’environnement fait pourtant partie de ses principaux avantages, d’après les entreprises qui ont parié sur cette nouvelle viande.

SuperMeat (qui n’a encore aucun prototype présentable, ndlr) avance que leur poulet artificiel utiliserait 99% de surface de terres en moins que la viande classique et 90% moins d’eau. Il émettrait aussi 90% moins de gaz à effet de serre.

Néanmoins, je suppose que ces chiffres sont issus de calculs purement théoriques, et qu’il faudra voir ce que ça donne en pratique et à grande échelle. Dans sa vidéo promotionnelle, SuperMeat avance même que leur viande permettrait d’arrêter le changement climatique et de résoudre la faim dans le monde. Rien que ça.

La recherche scientifique s’intéresse déjà au potentiel de la viande de synthèse en matière d’environnement. Cette étude américaine reconnaît qu’il y a d’énormes incertitudes mais conclut que la viande in vitro pourrait, en effet, utiliser beaucoup moins de ressources que l’élevage. Ce qui est une bonne nouvelle.

Mais les chercheurs qui ont réalisé cette étude insistent aussi sur le fait qu’il faudra en contre-partie utiliser beaucoup d’énergie pour produire cette viande dans un milieu artificiel, notamment parce qu’il faut remplacer les fonctions biologiques des animaux (comme la digestion et la circulation des nutriments) par des procédés industriels très gourmands en électricité. Ce qui est une moins bonne nouvelle.

En France, l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) s’est aussi interrogé. Il cite une étude qui estime que la viande de boeuf artificielle pourrait émettre 20 fois mois de gaz à effet de serre que la viande de boeuf classique, et 8 fois moins pour la volaille. Mais c’est en fait très difficile à calculer parce qu’une grande partie de la production de viande de ruminants est indissociable de la production laitière. En France, 40% de la viande vient d’anciennes vaches laitières.

Aussi, l’INRA explique que la viande artificielle éviterait évidemment les pollutions causées par l’élevage mais que “sa production industrielle entraînerait d’autres pollutions dont l’inventaire est prématuré”.

L’institut de recherche conclut que :

“En définitive, la viande artificielle présenterait un intérêt modéré pour réduire les gaz à effet de serre et les pollutions par les nitrates, un intérêt limité pour réduire la consommation d’énergie fossile, et probablement une absence d’intérêt pour la disponibilité de la ressource en eau.

C’est la fin de la souffrance animale ?

J’ai beaucoup lu dans les médias que cette nouvelle viande était censée être une bonne nouvelle pour les végétariens, véganes et défenseurs de la cause animale. Au contraire, j’ai l’impression que la communauté végétarienne répond plutôt : “bof”.

On pourrait alors se demander : “Mais pourquoi ils sont jamais contents ceux-là ?”.

Eh bien premièrement parce qu’il y a un gros hic dans la production de viande artificielle. Vous vous souvenez, tout à l’heure, quand je disais que l’on cultivait des cellules dans une substance nutritive ?

Cette substance, c’est en règle générale du serum foetal de veau, une substance qui contient des facteurs de croissance et des hormones. Ce serum est prélevé dans le sang d’un foetus de veau au moment de l’abattage d’une vache en gestation (ce qui entraine une mort lente et probablement douloureuse du foetus). Il faudrait 100ml de serum pour produire environ 1kg de viande in vitro.

Le serum de veau foetal est donc un vrai problème. Il faudrait entre 2 et 6 foetus (en fonction de leur stade de développement) pour avoir 1 litre de serum. Chaque litre coûte ensuite plusieurs centaines d’euros.

Donc, paradoxalement, pour produire de la viande de synthèse en masse, il faudrait quand même conserver de l’élevage intensif de bovins pour fournir tous ces foetus de veaux. C’est ballot !

Mais les entreprises qui veulent produire de la viande de synthèse sont tout à fait conscientes du problèmes et cherchent à se débarrasser du serum foetal de veau. Peut-être pour des questions éthiques, mais aussi parce que c’est un gouffre financier et que ça fait mauvais genre niveau marketing.

Il faudrait donc un serum de synthèse qui marche pour la production de viande artificielle. J’ai lu que c’était envisageable, que ça pourrait même déjà exister, mais qu’il n’est pas répandu et que sa composition exacte est un secret industriel. Donc on ne peut pas savoir ce qu’il y a dedans. Ce qui est aussi un problème.

Echantillons de viande in vitro.

Mais même si on trouve un serum de synthèse pas cher, efficace et clean, ça ne règle pas tout. Même si on arrivait à régler les problèmes d’éthique liés à la production de viande, il restera encore la production industrielle de produits laitiers et d’oeufs, qui n’est pas en reste niveau souffrance animale ! Et, comme on l’a dit, la production de viande est très liée à la production de lait puisqu’une grande partie de la viande de boeuf que nous consommons vient d’anciennes vaches laitières.

Enfin, il reste un dernier point qui fait débat. Pour cultiver des cellules issues d’animaux, il faut les prélever sur des animaux vivants. En théorie, on n’aurait besoin que d’un seul prélèvement sur un animal pour faire proliférer presque indéfiniment ses cellules dans un laboratoire. Ce prélèvement est censé être inoffensif pour l’animal “donneur”.

Mais certains défenseurs de la cause animale considèrent que ces prélèvements ne sont pas pour autant acceptables. Il pensent d’ailleurs que la viande artificielle n’est pas plus tolérable que la viande “naturelle”. Pour eux, cette viande artificielle ne règle pas le problème de fond, qui est notre attitude générale envers les animaux. C’est-à-dire le fait que nous nous estimons supérieurs à eux et que nous les traitons comme des objets à notre disposition. Le problème de la viande artificielle, c’est qu’elle nous éviterait surtout de nous poser ces questions essentielles.

D’autres pensent que la viande artificielle permet au contraire d’améliorer le sort des animaux puisqu’en théorie, on n’aurait besoin que d’une poignée d’animaux “donneurs” pour alimenter l’humanité en viande artificielle. Ce qui pourrait épargner la vie et la souffrance de milliards d’autres animaux d’élevage. Et dans ce cas, ce serait un petit mal pour un énorme bien.


On en mange bientôt ?

Non, pas vraiment. Pas avant 2020 en tout cas. Et même si on pouvait un jour en acheter au supermarché, rien ne dit que la viande artificielle rentrera dans nos habitudes.

Premièrement, parce qu’on ne sait même pas s’il sera possible d’en faire une production de masse. Ce n’est pas parce qu’on a réussi à faire un steak artificiel que l’on réussira à en produire à la chaîne. En théorie oui, c’est peut-être possible. Mais on peut toujours faire beaucoup de choses dans la théorie. Jusqu’au moment où elles se heurtent à la réalité.

Beaucoup d’entreprises qui promettent un avenir radieux grâce à la viande artificielles sont en fait des start-ups qui n’ont pour l’instant pas passé le cap du prototype ou de la mise en production. Elles sont souvent très bonnes en marketing, et elles savent nous vendre monts et merveilles. Mais il ne faut pas être naïfs. Ce n’est pas parce que SuperMeat dit qu’elle va arrêter le changement climatique et la faim dans le monde qu’elle va y arriver.

Alors oui, l’équipe de Mark Post a réussi à faire un steak. Mais ça ne prouve pas que l’on pourra mettre en place des usines-laboratoires qui produiront des tonnes de viande artificielle chaque jour grâce à un serum de synthèse efficace et pas cher. Ni que cette viande aura exactement le même goût que la viande “naturelle”. Ni que les gens auront les moyens d’en acheter. Ni qu’ils voudront en manger.

On nage encore dans les incertitudes. De la même manière qu’il est impossible de prédire l’impact environnemental de la viande de synthèse, il nous est impossible de prédire l’accueil que les consommateurs vont lui réserver.

L’INRA rappelle que les consommateurs européens sont très sceptiques et mêmes réticents par rapport aux nouveaux aliments “technologiques”. Le rejet massif des OGM par les citoyens européens est très emblématique.

Pourtant, pour que la viande artificielle ait un réel impact sur l’environnement, il faudrait qu’énormément de gens en consomment à la place de la viande “naturelle”. Il faut donc un marché de masse à l’échelle de la planète. Mais le risque est que la viande artificielle reste cantonnée à un marché de niche. C’est-à-dire que très peu de gens en consomment, parce qu’elle est trop chère, parce que le goût est bizarre, ou parce que les consommateurs ont tout simplement une aversion envers cet aliment “non naturel”.

Autre question : si les gens veulent agir pour l’environnement et la cause animale, vont-ils remplacer toute leur consommation de viande par de la viande artificielle ? Ou vont-ils préférer diminuer leur consommation pour ne garder que peu (ou pas) de viande, mais seulement de la viande “naturelle” ?

Dans les faits, les Français sont déjà en train de diminuer leur consommation de viande.

Mais on pourrait aussi se dire que ce n’est qu’une question de temps. Que l’on finira bien par trouver comment faire de la viande artificielle convenable à grande échelle. Qu’on finira bien par convaincre les gens. Et qu’ils s’y habitueront. D’ici 10, 20 ou 30 ans.

Mais nous n’avons pas le temps. Le changement climatique, la pollution, les scènes d’horreur dans les abattoirs : c’est maintenant !

Il existe aujourd’hui des solutions beaucoup plus simples, beaucoup moins chères et beaucoup plus sûres que la viande de laboratoire. Diminuer ou arrêter de consommer de la viande au profit des protéines végétales reste à ce jour ce qu’il y a de plus efficace à court et à long terme.

D’ailleurs, en Europe, je ne suis pas sûre que la viande artificielle soit culturellement plus acceptable que le flexitarisme (manger de la viande uniquement de temps en temps). Si les gens veulent agir pour l’environnement et la cause animale sans renoncer complètement à la viande, je pense qu’ils choisiront presque systématiquement de diminuer leur consommation de viande pour ne garder que de la vraie viande de qualité (par exemple de la viande biologique élevée en plein air). Je doute fortement qu’ils se tournent vers la viande artificielle.


Pour moi, la viande artificielle est un sujet à surveiller mais il m’est impossible de le prendre en compte dans mes réflexions sur l’avenir de l’alimentation. Il y a beaucoup trop d’incertitudes.

Et puis produire de la viande en laboratoire, c’est aussi une vision de l’agriculture qui soulève des questions de société fondamentales. Allons-nous tout miser sur des solutions de haute technologie, qui consomment énormément d’énergie et de ressources rares ? Alors que nous disposons déjà de “basses technologies” très efficaces et pas chères ? Pour ce qui est de l’agriculture low tech, je vous propose de lire mon article sur l’agroécologie, une technique d’agriculture très productive et sans produits chimiques qui repose sur la préservation des écosystèmes.